Dans
une véritable démocratie, c’est le peuple qui choisit ce qu’il délègue à ses
représentants
Dans une véritable démocratie, le peuple (dêmos) a le
pouvoir (kratos). Il n’a bien sûr pas le temps de gérer les affaires publiques
quotidiennes (en tous cas au niveau national), mais c’est lui qui décide
quelles compétences il délègue à ses représentants. En France, le peuple ne
pourrait pas décider par exemple de conserver davantage de pouvoir entre deux
élections (droits de référendum et d’initiative). Ce n’est donc pas une
démocratie.
Il y a certes des élections en France. Mais cela ne
suffit pas à faire de la France une démocratie, puisque le peuple ne peut pas
décider quel pouvoir il confie à ses représentants. Il serait faux de croire
que le peuple voterait nécessairement comme ses représentants. Il est par
exemple vraisemblable qu’en France le peuple n’aurait pas approuvé le traité de
Lisbonne s’il avait pu voter, puisqu’il venait de refuser un texte similaire
que le président avait eu l’imprudence de soumettre au référendum. En Suisse où
les droits populaires sont développés, ceci est encore plus clair, puisque le
peuple rejette régulièrement des propositions approuvées par la majorité de ses
représentants.
Les élections ne sont pas non plus une condition
nécessaire pour une démocratie. Quelque soit le mode de désignation des
représentants du peuple, c’est une démocratie si c’est le peuple qui choisit ce
mode de désignation et peut le changer quand il veut. Ainsi, on peut imaginer
une démocratie où les représentants du peuple sont tirés au sort. Même une
procédure aussi saugrenue que celle utilisée par les Tibétains pour désigner le
Dalaï-lama serait démocratique si c’est le peuple qui choisit cette procédure
et peut la changer quand il le veut.
Dans une démocratie, toute modification de la
Constitution doit obligatoirement être soumise au référendum. Et le peuple peut
prendre l’initiative de modifier la Constitution. C’est donc le peuple qui
écrit la Constitution. Le droit de référendum et d’initiative ne garantit la
démocratie que s’il permet au peuple une maîtrise totale sur sa Constitution.
La Suisse est à ma connaissance le seul pays
véritablement démocratique. En Italie par exemple, le droit de référendum
existe même au niveau constitutionnel, mais le peuple ne peut pas s’opposer à
une modification décidée par les élus si celle-ci a obtenu une majorité des
deux tiers (voir ici, là et
l’article 138 de
la Constitution italienne), et le peuple ne peut pas prendre l’initiative de
modifier la Constitution (par exemple pour y introduire un droit de référendum
pour les traités de l’Union européenne). Mais je ne suis pas spécialiste de
l’Italie, ni des autres pays de la planète, d’où ma prudence : « à ma
connaissance » la Suisse est le seul pays véritablement démocratique.
En principe, on pourrait distinguer divers démocratie qui
auraient en commun que c’est le peuple qui choisit quels pouvoirs il délègue à
ses représentants, mais qui différeraient d’après la quantité de pouvoir que le
peuple choisit de ne pas déléguer. On peut aussi distinguer les démocraties
d’après la proportion des citoyens nécessaire pour obtenir qu'une votation
populaire soit organisée. Toutes choses étant égales par ailleurs, plus cette proportion est
élevée, plus les droits populaires sont faibles. Mais s’il n’existe qu’un seul
pays démocratique, alors il n’est guère utile d’effectuer ces distinctions.
Le
continuum entre dictature et élucratie
Il faut distinguer les différents régimes
non-démocratiques en fonction du pouvoir qu’ils laissent au peuple. Dans une
dictature absolue, le peuple n’a aucun pouvoir, alors qu’en France le peuple a
le pouvoir d’élire ses représentants. Ces élections sont très importantes, car elles
empêchent la classe gouvernante de se reproduire sans l’assentiment du peuple.
Il serait donc faux de négliger la distinction entre élucratie et dictature. J’appelle
élucratie un régime comme en France où le pouvoir appartient aux élus plutôt
qu’au peuple, mais où les élections sont libres et régulières (on appelle d’habitude
ce régime « démocratie représentative », mais c’est trompeur
puisqu’en réalité ce n’est pas une démocratie).
On se souvient des républiques démocratiques d’Europe de
l’Est : même les dictatures tentent généralement de se faire passer pour
des démocraties (ou plus exactement pour ces élucraties que l’on confond
généralement avec les véritables démocraties). On peut imaginer un continuum de
régimes qui se distinguent par la mesure dans laquelle ces élections sont
libres et régulières. Mais finalement, il y a une différence non seulement de
degrés, mais qualitative, entre la Corée du Nord et la France.
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