Après les réactions suite à mon article intitulé « Contre
une Assemblée constituante », ma pensée s’est précisée. Je suis
maintenant favorable à la création d’une Assemblée constituante sous certaines
conditions. Premièrement, le projet de Constitution qu’elle aura mandat de
rédiger devra être soumis au référendum point par point (et non pas en bloc).
Deuxièmement, ses membres seront tirés au sort (et non pas élus).
Troisièmement, un véritable droit de référendum d'initiative populaire (permettant
au peuple de modifier la Constitution et obligeant toute modification de la
Constitution d'être soumise au peuple) devra préalablement être adopté.
Le
projet de Constitution doit être soumis au référendum point par point
Si le projet de
Constitution rédigé par l’Assemblée constituante est soumis en bloc au
référendum, cela peut conduire à un résultat qui ne correspond pas à ce que
veut le peuple.
Premièrement, il y a le risque que l’on mette dans le
paquet des réformes dont le peuple ne veut pas, mais que l’on parviendra à
faire passer parce qu’elles se trouvent dans le même paquet que des réformes
que le peuple veut. Il est presque certain que ce risque se réalisera si les
membres de l’Assemblée constituante sont élus. Mais ce risque existe aussi
(dans une moindre mesure) s’ils sont tirés au sort. En effet, le tirage au sort
n’est pas nécessairement parfaitement représentatif (notamment si certains
types de personnes ont davantage tendance à se récuser que d’autres après avoir
été tirées au sort) et n’empêche pas complètement la corruption (il sera
toujours plus facile de corrompre un petit groupe de personnes que le peuple
lui-même). Des problèmes de représentativité et de corruption peuvent donc
subsister même dans le cadre du tirage au sort.
Deuxièmement, soumettre un projet en bloc au référendum
peut contraindre le peuple à accepter un paquet dont il rejette tous les
éléments, et ceci même si ces éléments sont indépendants les uns des autres. J’explique
ici
ce paradoxe mis en évidence par Ostrogorski. Cela signifie que le vote en bloc
sur un paquet peut être très trompeur, même sans malveillance de la part de
ceux qui nouent le paquet (même sans glisser des réformes que le peuple ne veut
pas dans un paquet contenant aussi des réformes que le peuple veut). Ce risque
existe même si les membres de l’Assemblée constituante sont tirés au sort.
On dira que soumettre chaque réforme de la Constitution
au référendum prendrait trop de temps. Mais avec plusieurs référendums par an,
il serait possible d’éliminer les plus gros défauts dès la première année. Et
en 10 ans, il serait possible d’effectuer de nombreuses modifications de la
Constitution (par exemple : 5 réformes par an, cela fait 50 réformes en 10
ans). Il n’y a pas une urgence telle qu’elle justifierait de court-circuiter le
peuple en ne lui soumettant au référendum qu’un gros paquet tout ficelé à
accepter ou refuser en bloc.
Il faut respecter le principe de l’unité de matière :
des questions différentes ne doivent pas être mises dans un même paquet lorsqu’elles
sont soumises au référendum. Ce principe est important aussi pour les réformes
constitutionnelles.
Les membres
de l’Assemblée constituante doivent être tirés au sort
Pour éviter que les partis, avec l’avantage que leur
procure leur appareil bien rodé pour les élections, ne dominent l’Assemblée
constituante, il faut que cette assemblée soit tirée au sort. Comme le souligne
Etienne Chouard : « Ce n'est pas aux hommes au pouvoir d'écrire les
règles du pouvoir » (voir ici).
Les partisans d’une Assemblée constituante élue placent
certes des garde-fous : « elle sera élue à la proportionnelle intégrale sans seuil, avec la parité. Les
parlementaires en exercice ne pourront s’y présenter et les élues de la
Constituante ne pourront être candidats aux élections suivantes. Les modalités
de l’élection et du débat public seront établies après consultation des
organisations sociales » (voir ici). Ces garde-fous permettent
une meilleure représentation des petits partis et empêchent que les mêmes
individus ne dominent à la fois l’Assemblée constituante et le Parlement. Mais
ce seront quand même les mêmes partis qui domineront l’Assemblée constituante
et le Parlement, ce qui leur permettra de rédiger les règles sensées limiter
leur propre pouvoir.
Il
faut préalablement introduire un véritable droit de référendum d’initiative populaire
pour les modifications de la Constitution
L’Assemblée constituante n'a pas le droit de confisquer
la capacité à modifier la Constitution: de simples citoyens (mêmes pas membres
de l'Assemblée constituante) doivent pouvoir lancer un référendum d'initiative
populaire pour proposer une modification de la Constitution, et leur
proposition doit être soumise en votation populaire si les signatures requises
ont été réunies dans les temps impartis.
Le droit de référendum d'initiative populaire
constitutionnel doit être introduit avant la création de l'Assemblée
constituante. Il est urgent d'adopter le principe « le peuple, et
uniquement le peuple doit pouvoir modifier la Constitution ». Or je crains
que l'Assemblée constituante s'enlise. Il ne sera déjà pas facile de se mettre
d'accord sur ses modalités. Certains veulent par exemple que les membres de
cette assemblée soient élus, alors que d'autres (dont je fais partie) veulent
qu'ils soient tirés au sort. La voie de l'Assemblée constituante ne doit pas
retarder l'introduction d'un véritable droit de référendum d'initiative
populaire qui est une réforme beaucoup plus modeste (et simple) qui permettrait
déjà d’ouvrir la porte de la démocratie. Il ne faut pas attendre que l’Assemblée
constituante introduise un véritable droit de référendum d’initiative
populaire. Au contraire, le droit de référendum est une condition préalable à l’instauration
d’une Assemblée constituante. En effet, la création de l’Assemblée constituante
doit être adoptée en votation populaire. De plus, un véritable droit de
référendum d’initiative populaire doit déjà exister pour que différents groupes
de citoyens puissent proposer en votation populaire leurs modalités pour
l'Assemblée constituante.
Pour ma part, lorsqu'un véritable droit de référendum
d'initiative populaire aura été introduit, je défendrai la proposition
d'instituer une Assemblée constituante dont les membres seront tirés au sort,
et qui aura pour mandat de rédiger une proposition de Constitution qui sera
soumise au référendum point par point (et non pas en bloc).